La chaleur fatale, un levier sous exploité pour la décarbonation des territoires
La chaleur fatale : une ressource précieuse
La chaleur fatale, souvent considérée comme un sous-produit industriel sans valeur, détient en réalité un potentiel énergétique considérable pour la décarbonation des territoires. Mais qu'est-ce exactement que la chaleur fatale, et d'où provient-elle ?
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Définition de la chaleur fatale : La récupération de chaleur fatale, identifiée comme un processus éco-responsable et économique, est caractérisée par la capture de la chaleur produite par des activités telles que l'incinération des déchets, les rejets gazeux de fours industriels, la chaleur des eaux usées, des systèmes de réfrigération qui autrement serait dissipée inutilement dans l'environnement. La valorisation de la chaleur fatale est double. D’une part, elle est utilisée pour chauffer d'autres procédés au sein de la même entreprise et d’autre part, elle peut être redistribuée à d'autres entités industrielles, tertiaires ou résidentielles à travers un réseau de chaleur. D'importantes économies d'énergie sont réalisées par les industries adoptant ce procédé de récupération de chaleur fatale. En outre, ils contribuent significativement à la lutte contre le réchauffement climatique en réduisant d’autant la consommation d’énergie fossiles. Au coeur des objectifs de la Programmation Pluriannuelle de l'Énergie (PPE) qui vise à augmenter de manière substantielle la quantité de chaleur fatale industrielle récupérée d'ici 2028, elle représente donc un potentiel énergétique considérable pour la France.
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Le potentiel de valorisation de la chaleur fatale en France : selon les données fournies par l'ADEME, la France dispose d’un gisement estimé à 109,5 térawattheures (TWh) de chaleur fatale produite par l'industrie, ce qui représente 36 % de la consommation totale de combustibles de ce secteur. Parmi ce volume, 52,9 TWh sont perdus à une température excédant 100°C. En outre, les unités de valorisation énergétique des déchets, les stations d'épuration des eaux usées (STEP) et les datas center contribuent pour 8,4 TWh à la chaleur rejetée. Plus spécifiquement, 16,7 TWh de cette chaleur fatale, émise à une température supérieure à 60°C, sont localisés à proximité immédiate des réseaux de chaleur existants. Il s'agit d'un potentiel réel de réutilisation de cette énergie correspondant à plus de 70 % de l'énergie distribuée par les réseaux de chaleur (année de référence 2016). Pour illustrer ce potentiel, cette quantité équivaut à la capacité de chauffage requise pour approximativement 1,6 million de logements. Dans le contexte de la transition énergétique, le secteur industriel, qui totalise plus de 20% de la consommation énergétique nationale, dispose ainsi d'un gisement d'efficacité énergétique estimé à 20 % par l'ADEME réalisable d'ici à 2035 si des mesures de récupération sont appliquées. La chaleur fatale, souvent jugée comme une perte, peut effectivement être récupérée, transformant par conséquent un déchet en ressource précieuse.
Les défis de la valorisation de la chaleur fatale
La valorisation de la chaleur fatale, malgré son potentiel énergétique considérable et ses avantages environnementaux indéniables, se heurte à plusieurs défis majeurs qui freinent son exploitation à grande échelle. La valorisation de la chaleur fatale représente une opportunité unique de progresser vers une économie plus circulaire et durable. Toutefois, pour exploiter pleinement ce potentiel, il est essentiel de s'attaquer frontalement à ces défis, en adoptant des approches innovantes et en renforçant les collaborations entre tous les acteurs concernés.
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Obstacles techniques : Il est crucial que la gestion du transfert de chaleur soit effectuée de manière efficace pour la récupération et la réutilisation de la chaleur fatale, lesquelles sont confrontées à des défis techniques importants. L'établissement d'une infrastructure adaptée au transfert de chaleur, telle que des réseaux de chaleur, s'avère essentiel, bien que son installation puisse être onéreuse. Ces réseaux sont requis pour le transport de la chaleur sur des distances qui peuvent être significatives. De surcroît, le transfert de chaleur requiert un traitement préalable de la chaleur fatale, augmentant ainsi la complexité du processus de réutilisation.
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Défis organisationnels : La mise en place d'un système de valorisation de la chaleur fatale requiert une coordination étroite entre différents acteurs, tels que les industries émettrices, les opérateurs de réseaux de chaleur et les autorités locales. Cette coordination peut être entravée par des intérêts divergents ou par l'absence d'un cadre réglementaire clair favorisant le partage de la chaleur fatale.
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Manque de sensibilisation et de connaissances : Malgré ses avantages, la chaleur fatale reste encore peu connue du grand public et même de certains acteurs industriels. Ce manque de sensibilisation limite la prise de conscience de son potentiel et freine l'adoption de solutions de récupération.
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Insuffisance de moyens financiers : La valorisation de la chaleur fatale nécessite des investissements initiaux importants pour la mise en place des infrastructures nécessaires. Ce coût représente un obstacle majeur, surtout dans un contexte où les collectivités et les entreprises font face à des contraintes budgétaires. La recherche de financements et de modèles économiques viables est donc cruciale pour le déploiement de projets de valorisation de la chaleur fatale.
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Besoin de passer rapidement à l'action : Face à l'urgence climatique, il est impératif d'accélérer la mise en œuvre de solutions de décarbonation. La valorisation de la chaleur fatale, en tant que levier d'action rapide et efficace, requiert une mobilisation et une volonté politiques fortes pour surmonter les obstacles existants.
Les bénéfices de l'intégration de la chaleur fatale dans les réseaux de chaleur
L'exploitation de la chaleur fatale au sein des réseaux de chaleur urbains présente des avantages considérables selon les données de la FEDENE , tant pour les collectivités que pour les industries. Ces bénéfices s'articulent autour de la réduction des émissions de CO2, de la sécurité énergétique et de l'économie locale.
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Réduction de la dépendance énergétique et amélioration de la sécurité d'approvisionnement : En valorisant la chaleur fatale, les territoires réduisent leur dépendance aux énergies fossiles importées. Cette démarche contribue à sécuriser l'approvisionnement énergétique local en s'appuyant sur des ressources disponibles sur le territoire. De plus, cela permet d'atténuer les fluctuations des prix de l'énergie en diversifiant les sources d'approvisionnement.
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Impact positif sur l'environnement et contribution à l'objectif de décarbonation des territoires : La valorisation de la chaleur fatale est une stratégie clé pour diminuer les émissions de gaz à effet de serre. En intégrant cette ressource dans les réseaux de chaleur, les collectivités peuvent accélérer leur transition vers un modèle énergétique bas-carbone. Agen, par exemple, a vu ses émissions de CO2 réduites de plus de 30% grâce à son réseau de chaleur alimenté principalement par des sources renouvelables et de récupération.
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La valorisation de la chaleur fatale s'inscrit dans une démarche d'efficacité énergétique cruciale pour les industries et les collectivités. Elle permet non seulement une réduction notable des coûts opérationnels pour les industries, grâce à une diminution de la facture énergétique, mais elle offre également aux collectivités l'opportunité de fournir une énergie à moindre coût. Cette stratégie d'efficacité énergétique se traduit par des avantages économiques considérables, en transformant un déchet thermique en une ressource profitable, tout en renforçant l'efficacité énergétique des systèmes locaux. L'efficacité énergétique, renforcée par la récupération de la chaleur fatale, engendre des revenus supplémentaires pour les collectivités, qui peuvent être réinvestis dans des initiatives de développement durable, alignées avec les objectifs d'efficacité énergétique régionaux et nationaux. De plus, cette approche d'efficacité énergétique favorise la création de liens économiques et environnementaux bénéfiques avec le tissu industriel local.
Financements et soutiens disponibles pour la valorisation de la chaleur fatale
La valorisation de la chaleur fatale, essentielle à la transition énergétique des territoires, nécessite souvent des investissements initiaux importants. Heureusement, en France, des dispositifs de soutien financier sont disponibles pour encourager et faciliter ces projets.
Le Fonds Chaleur de l'ADEME
L'Agence de la Transition Écologique (ADEME) joue un rôle crucial dans le soutien de la valorisation de la chaleur fatale à travers son Fonds Chaleur. Ce dispositif vise à encourager la réalisation de projets de récupération de chaleur fatale en accordant des aides financières aux entreprises, associations et collectivités. Les projets éligibles doivent s'inscrire dans une démarche d'efficacité énergétique cohérente et peuvent concerner la valorisation de la chaleur fatale en interne ou en externe, notamment vers un réseau de chaleur ou un utilisateur potentiel.
Critères d'attribution
Pour bénéficier de l'aide du Fonds Chaleur, les porteurs de projets doivent réaliser une étude préalable, respecter des exigences sur le dimensionnement et les équipements, et démontrer que leur projet valorise une quantité d’énergie thermique supérieure à 1 GWh/an. Les systèmes éligibles incluent le captage de chaleur sur un procédé unitaire, la remontée du niveau thermique via des pompes à chaleur ou des centrales de traitement d'air, ainsi que des systèmes de production de froid.
Avantages de l'aide
Le soutien du Fonds Chaleur offre plusieurs avantages aux bénéficiaires :
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Visibilité sur les coûts de la chaleur et accès à une haute performance environnementale.
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Adoption de technologies à haut rendement énergétique.
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Valorisation d'une ressource de proximité dans une logique d'économie circulaire.
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Accompagnement et conseils à toutes les phases du projet par l'ADEME.
Études de faisabilité
En amont des aides à l'investissement, l'ADEME finance également des études de faisabilité pour les projets de récupération de chaleur fatale. Ces études apportent aux porteurs de projet les éléments nécessaires pour se positionner sur la faisabilité technique, économique, réglementaire et environnementale de leur opération.
Comment procéder ?
Les aides sont octroyées principalement via les Directions régionales de l’ADEME. Un contact préalable avec l'agence concernée est conseillé avant toute démarche pour préciser les critères d’éligibilité et obtenir un éclairage technique.
Modèles de financement innovants
Pour faciliter l'accès au financement, les porteurs de projets peuvent explorer des modèles de financement alternatifs, tels que le Marché Global de Performance Energétique à Paiement Différé (MGPE-PD), le financement participatif ou encore les contrats de performance énergétique (CPE). Ces solutions offrent une flexibilité financière et permettent de répartir les risques entre les différents acteurs impliqués.
L'exemple réussi de valorisation de la chaleur fatale avec la ville d’Agen
La ville d’Agen offre un exemple remarquable de valorisation de la chaleur fatale à travers son initiative audacieuse de créer un réseau de chaleur urbain alimenté essentiellement en énergie de récupération. Ce projet, d'une envergure significative, illustre parfaitement comment les déchets, souvent considérés comme une nuisance, peuvent se transformer en une ressource énergétique précieuse pour la communauté.
Le réseau de chaleur urbain d'Agen : Un projet déterminant pour la Transition énergétique de son territoire
Le Réseau de Chaleur Urbain d'Agen puise sa source de chaleur dans l'incinération des déchets ménagers ainsi que dans l’industrie avoisinante, permettant ainsi une redistribution optimale. Ce projet revêt une importance cruciale dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre au sein du territoire agenais. L'Agglomération, qui compte un tiers de la population du Lot-et-Garonne, bénéficie désormais d'un réseau de chaleur adapté aux besoins de ses habitants, contribuant à une diminution des émissions de gaz à effet de serre de plus de 30%. Prévu pour être opérationnel le 1er octobre 2025, le réseau s'étendra sur 15,8 kilomètres et ambitionne de fournir 41 gigawattheures de chaleur annuellement.
Ce réseau est principalement alimenté par un mix énergétique composé d'énergie de récupération, provenant de la chaleur fatale de l'unité de valorisation énergétique des déchets et d'un industriel spécialisé dans l'équarrissage. L'empreinte carbone de ce nouveau réseau est estimée à seulement 48 grammes de CO2 par kilowattheure, se distinguant ainsi nettement de la moyenne nationale qui est de 116 grammes de CO2 par kilowattheure. Cette différence marque une avancée significative dans la transition énergétique de l'Agglomération, comme l'a souligné Patrick Buisson, vice-président de l'Agglomération.
Impact environnemental et économique
Le projet représente un investissement de plus de 20 millions d’euros, marquant le deuxième plus gros chantier de l’Agglomération durant ce mandat. Le réseau de chaleur d’Agen permettra d'éviter l'émission de 7 427 tonnes de CO2 par an, équivalant à retirer 4 126 voitures de la circulation pour une année. En outre, avec 84 % de son énergie provenant de sources renouvelables et de récupération, le réseau d’Agen se positionne comme un modèle de développement durable.
Un tarif compétitif et stable
L'un des aspects les plus attractifs du réseau de chaleur d’Agen pour les usagers est son tarif énergétique compétitif et stable. Cette stabilité tarifaire, associée à un fort engagement environnemental, rend le projet particulièrement séduisant pour les abonnés potentiels.